Acteurs culturels : des pistes pour un numérique plus responsable

Préface

Un numérique plus responsable est-il possible ? nous nous doutons bien ici qu’une partie de la réponse est dans la question. Nous partons de très loin lorsque nous nous mettons courageusement à faire le constat de ce qui ne va pas pour la planète. Mais il ne s’agit pas seulement de cela. Car enfin, à quoi ressemblerait une planète en bonne santé si elle n’était peuplée que par des êtres humains pauvres et peu heureux de vivre ? quel en serait le sens ?

Sobriété numérique ? ce terme désormais largement adopté par nos décideurs et entreprises interroge. Le terme sobriété signifie que l’on s’abstient au-delà de ce qui est nécessaire pour vivre2. N’est-il pas violent voire indécent de demander à ceux qui n’ont rien ou peu d’être sobres ? Ne devrions-nous pas adapter les discours, revoir la sémantique quand on sait qu’elle peut heurter ?

Ne vivons-nous pas en état d’ébriété permanent ? Le numérique est partout, omniprésent et touche toutes les générations. Nous ne pouvons qu’avoir le vertige si l’on considère les différentes étapes logiques que nous sommes amenés à vivre dans cet état : euphorie, ivresse, hébétude et léthargie, gueule
de bois, coma ? Regardons-nous, nous sommes voûté.es, nous ne marchons plus très droit, nous titubons. Nous ne regardons plus le ciel. Le paysage magique défilant à travers la fenêtre d’un train est remplacé par le scroll d’un réseau social ou par le visionnage d’une vidéo.

Imaginer un numérique plus responsable, c’est raisonner de façon systémique, considérer le cycle de vie complet, prendre en compte de nombreux indicateurs, comprendre la finitude, interroger les besoins, refuser le trop mais aussi s’insurger contre le « pas assez ».
C’est lutter de toutes nos forces contre les multiples fractures, les injustices, l’indécence, le greenwashing, et refuser l’accélération à tout crin. 

Que dire à propos de celles et ceux que nous ne voyons pas et qui extraient, assemblent, désossent nos terminaux et gadgets dans des conditions la plupart du temps insoutenables et évidemment impensables
« chez nous ». Esclavagisme électronique, colonialisme numérique, silicolonisation du monde…

Que dire à propos des travailleurs et travailleuses du clic, des modérateurs et modératrices de contenu, « invisibilisé.e.s » comme le dit Sarah T. Roberts4 qui paient un prix effrayant dans le but déclaré de rendre nos médias sociaux propres et sûrs ou pour alimenter l’intelligence artificielle ?

Loin des yeux, loin du cœur…

Le numérique est trop souvent réduit à la technique et il semble urgent (c’est un peu tard) de mettre l’être humain au centre de cette question.
Rappelons à quel point le numérique est facilitateur de la croissance économique qui elle-même facilite la « dévoration du monde ».
Nous savons aussi à quel point les acteurs du numérique peuvent influencer notre vision en favorisant du contenu orienté socialement ou politiquement.

Si nous avons l’impression d’être dévitalisés en étant si souvent « dématérialisés », alors il est urgent de sursauter avant qu’il ne soit trop tard. Nous devons politiser le débat, reprendre en main notre destin,
répondre aux questions que l’on ne nous a jamais posées (comme celle-ci par exemple : de quel numérique pourrions-nous rêver ?) et faire des choix.
Idéalement, en rejoignant ce qu’affirmait André Gorz7 : « Seul est digne de toi ce qui est bon pour tous ».

Interrogeons notre dépendance car la guerre de l’attention est déclarée.
Elle menace de réduire notre monde et nos relations à un grand silence.
Le coût de l’extraction massive de l’attention va bien au-delà des seuls enjeux sanitaires et éducatifs. Il concerne la société dans son ensemble.
Notre dépendance aux outils qui nous sont vendus pour « faciliter » notre vie contribuent à nous déposséder de nous-mêmes. Ainsi, « nous allons vers un monde dévitalisé, équipés d’une technologie qui nous vampirise ». Il y a urgence de reconquérir l’attention, le vivant, le vrai,
le tangible. Bref, retrouvons notre existence en chair et en os et « levons les yeux ».

Révoltons-nous contre les mots creux et le langage marketing qui ne font pas honneur, à ce que nous sommes, des êtres pensants et sensibles.
Demandons-nous systématiquement si la promotion de telle ou telle information sur les réseaux est pertinente. La question se pose quand nous savons que nous alimentons davantage la caisse enregistreuse
des dits réseaux plus que nous échangeons (n’hésitez pas à regarder la série Dopamine10, fort bien faite). Ce qui serait responsable serait de couper radicalement le cordon, de briser le cercle vicieux. Le prix
à payer, et oui, serait de prendre le risque de disparaître des radars.
Est-il possible d’exercer une activité, sans ces canaux ? Il semblerait que nous soyons désormais plus que coincé.es.

Le secteur culturel, en s’engageant sur le chemin d’un numérique plus responsable, peut relever un double défi, celui de mettre tout en œuvre pour diminuer l’impact environnemental, sociétal et humain de ses pratiques numériques mais aussi celui de défendre justement la dimension culturelle de cette démarche, c’est-à-dire rechercher un équilibre qui ne « réduirait » pas l’être humain mais au contraire « l’élèverait » comme l’art le fait si bien. En d’autres termes, veiller à ce que le vivant reste unique et par cela, magique.

bela loto hiffler

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